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Histoire

Les chiennes de garde de la pub

14/08/2012
Zorra est une association qui fait parler d'elle. En témoigne notamment le nombre de plaintes qu'elle a déposées auprès du JEP contre "l'usage superflu de la minceur en publicité": une bonne centaine! Une façon de démontrer que les arts visuels exploitent encore trop souvent la femme comme objet de désir, et que la question de l'égalité des sexes en publicité n'est toujours pas résolue.

« Zorra signifie Zien, Opsporen, Reageren op Reclame en Advertenties (en français: Voir, Repérer, Réagir à la Publicité), explique Corine Van Hellemont, project manager de l'association. Il s'agit d'un centre d'appel recueillant les réactions aux diverses représentations des hommes et des femmes en publicité. » Le centre fut érigé il y a presque six ans au sein du Centre des Études sur la Femme, qui fait lui-même partie du département des Sciences Sociales et de la Communication de l'Université d'Anvers. Corine Van Hellemont: « Lors d'un séminaire sur les représentations hommes femmes dans les médias, on a constaté que les `producteurs' d'images ne sont souvent pas au courant de ce que les gens pensent, des réactions à certaines images. D'où la fondation d'un centre destiné à fonctionner comme un intermédiaire entre les gens de la rue et les médias » Au fil des ans, ce rôle fut étendu et depuis quatre ans, Zorra fait surtout office de forum de discussion (principalement via son site web). Sa mission: utiliser le dialogue afin d'informer et d'améliorer la condition des femmes dans les publicités.

Mais la pub d'aujourd'hui est-elle aussi misogyne que cela? Les femmes sont-elles systématiquement représentées comme des objets de désir? Selon Corine Van Hellemont, diverses études ont indiqué un véritable fossé entre la mise en images des deux sexes. « La façon dont les femmes évoluent dans la publicité est simpliste. Elles occupent souvent le rôle de la "babe" et ont rarement une véritable fonction. Les hommes, par contre, y ont un rôle actif et peuvent être présentés dans tout un éventail de situations. » C'est la raison pour laquelle Zorra plaide pour un équilibre, qui rejette les stéréotypes et représente les hommes et les femmes dans des situations identiques. « La façon dont les femmes sont dépeintes dans la publicité a bel et bien une influence sur elles et sur la manière dont elles sont perçues par les hommes. » Par ailleurs, une étude menée en France a démontré que 50% des femmes et 30% des hommes s'insurgent contre l'image des femmes dans la pub. « 40% de la population: les publicitaires devraient quand même en tenir compte, non? », réagit la responsable de Zorra.

Prix du public

Corine Van Hellemont note cependant une certaine évolution. « Chaque année, nous décernons un prix du public Zorra (l'année dernière c'était le spot de Duval Guillaume pour Adecco « laat je niet te snel verleiden », qui couronne la publicité la plus en faveur de l'égalité des femmes. A cet effet, le public peut faire ses propres suggestions. Petit à petit, les propositions et les nominations se font plus nombreuses. Pourtant, la récolte reste un peu maigre. » Pour elle, la question de l'influence de Zorra ses actions et son prix du public reste ouverte. "Nous sommes conscients que nous partons de loin et qu'il s'agit d'un travail de longue haleine. Lorsqu'une plainte est formulée à l'encontre d'une campagne déterminée, nous prenons systématiquement contact avec l'agence concernée. C'est notre façon de tenir les publicitaires au courant de ce qu'est Zorra. Certaines agences ont déjà inscrit le contentieux à leur agenda." Cependant, les réactions des publicitaires ne sont pas plus positives que ça. Bien souvent, on avance l'excuse que cela ne fait pas partie du rôle des agences. « C'est vrai, déclare Corine Van Hellemont. Mais les publicitaires ont également un rôle social à remplir et ils disposent des moyens financiers défaire évoluer les choses. En plus des parents et des enseignants, les médias ont un rôle important à jouer dans la façon dont les gens abordent des sujets comme les représentations hommes femmes. »

Collaboration

Au niveau international, Zorra est en relation avec d'autres organisations qui traitent du même problème. « Il s'agit autant d'institutions universitaires que d'organisations féministes ou culturelles, déclare Corine Van Hellemont. Nous travaillons depuis peu à la fondation d'une organisation de coordination, Media Watchdogs, de façon à pouvoir aborder le problème de manière coordonnée. Notre première action concrète est le combat contre l'idéal de minceur, et ce à l'échelle internationale. » Zorra se démarque cependant des organisations qui défendent le même but mais utilisent la violence ou mènent des actions plus dures. « Aux Pays-Bas, il y a un mouvement qui tagge les annonces pendant la nuit. Nous ne voulons pas être associés à ces gens. Zorra veut utiliser le consensus et la discussion afin de mener le monde de la publicité à modifier la culture ». Chez nous, c'est l'organisation d'origine française RAP qui est active. RAP signifie Résistance à l'Agression Publicitaire. Fin mars, ils manifestaient devant le magasin Sisley de la rue Neuve, à Bruxelles, pour marquer leur désaccord vis-à-vis des photos de Terry Richardson utilisées par la chaîne dans sa campagne publicitaire. Une plainte symbolique a été déposée auprès du Ministère des Affaires Economiques. Chose que Zorra fit récemment aussi, mais auprès du Jury d'Éthique Publicitaire. Corine Van Hellemont: « Zorra a déposé des plaintes au sujet de 113 publicités. Il s'agit d'usage superflu de corps minces à ultra minces. 95% des annonces concernées représentaient d'ailleurs des corps de femmes. » A l'origine de ces plaintes: une table ronde organisée avec la ministre flamande Mieke Vogels sur les idéaux de beauté. Lors de cette réunion, il fut décidé de concert avec les instances présentes - dont les portes-paroles Mark Van Lombeek et Diane Waumans de VMMa et VRT, Bruno Van Spauwen de TBWA/GV et Walter Gelens, président de l'UBA- d'en venir à un code moral. Sur son site web, Zorra appela ses membres à signer une pétition contre l'usage inutile de corps minces à ultra-minces en publicité.

« A côté de cela, nous invitions aussi les visiteurs du site à nous signaler les publicités qui utilisaient de telles représentations. Avec pour résultat ces 113 publicités. Cependant, nous n'affirmons pas que le secteur de la publicité est le seul à promouvoir cet idéal de minceur Mais l'industrie doit assumer ses responsabilités et représenter les corps humains de façon éthique. » La fin de ce flot de plaintes n'est d'ailleurs pas encore annoncée. ZORRA enregistre encore des réactions et les transmettra également au JEP. Lorsque vous lirez ceci, les plaintes auront probablement cessé puisque le JEP et ZORRA -se concerteront en septembre afin d'élaborer une solution. Selon Corine Van Hellemont, le Jury doit assumer sa responsabilité: « Nous attendons du JEP qu'il envoie un signal aux publicitaires. C'est une organisation qui a été érigée par le secteur même, et qui doit oeuvrer en chien de garde éthique. C'est donc au Jury de donner suite à ces plaintes. » Quant à savoir si la réponse sera positive, il faudra encore attendre.

Qu'en pensent les publicitaires?

Même si le point de vue de Zorra arrive de plus en plus aux oreilles de nos publicitaires, en tiennent-ils compte? Nous avons recueilli le témoignage de deux d'entre-eux. Harry Demey, ceo de LDV/Bates commence: « Une organisation comme celle-là est utile et a certainement sa raison d'être. Ils prennent constamment le pouls et donnent de temps en temps un signal. En tant que publicitaire, il faut parfois savoir encaisser les critiques. Par contre, ce qui me pose un problème, c'est le manque de capacité de relativisation et de sens de l'humour. Parfois, cela mène à une certaine déconnexion du monde où l'on vit ». Véronique Hermans, copy chez Ogilvy&Mather ne mâche pas ses mots; elle se demande si le débat n'est pas plus large que la minceur des femmes dans la pub d'autant que « la femme n'est plus confinée dans son rôle de potiche et que l'image de l'homme a également bien changé. Ne le voit-on pas en homme-objet en slip ou suppliant sa femme de lui prêter sa voiture? » Harry Demey n'est pas d'accord avec l'affirmation selon laquelle les publicitaires doivent prendre leurs responsabilités et contribuer à faire disparaître les clichés de la scène. « Non, les agences ne disposent pas de moyens financiers énormes. Ce sont les annonceurs qui mettent ces moyens à notre disposition. » Véronique Hermans, quant à elle, bien qu'elle reconnaisse l'influence des publicitaires, nous dit: « Ce sont les consommateurs qui veulent des belles images, très aspirationnelles même s'ils savent que ce n'est pas la réalité. Les marques, elles, exigent presque toujours cette représentation idéale. » Harry Demey admet que ses créatifs ne gardent pas la représentation hommes-femmes à l'esprit lorsqu'ils créent des annonces. «Nous sommes disposés à discuter. Mais un code éthique, cela va trop loin. Avant d'avoir eu le temps de dire ouf, les publicitaires se retrouveront coincés dans un carcan.» II ajoute d'ailleurs que la pub osée en choquera toujours quelques-uns. « Si certaines personnes pensent blanc, cela implique que les autres pensent noir. C'est la façon dont les publicitaires évitent que les gens pensent gris à propos d'une marque. »

Analyse : Bart Lombaerts, Média Marketing, n°181, septembre octobre 2002

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