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Histoire
Quelle alimentation pour demain ?
Gondola Magazine: Que pensez-vous de la mise en place de l'Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaîne Alimentaire ?
Marc Vandercammen : Le problème le plus épineux pour l'Agence, mis à part ses problèmes de management, sera d'intégrer toute l'ampleur de sa tâche. Mais elle est jeune, laissons-lui un peu de temps avant d'évaluer son fonctionnement.
Ensuite, nous devons être conscients qu'une agence, aussi bien gérée soit-elle, ne pourra jamais répondre à toutes les crises. Croire qu'un produit puisse être à cent pour-cent sûr avant qu'il ne sorte sur le marché tient de l'utopie. Au moment du lancement, par définition, il n'y a pas de recul par rapport à la consommation, un produit peut s'avérer nocif à forte dose, par exemple. Ensuite, qui peut prévoir la mauvaise foi d'un producteur, la négligence d'un consommateur, la malhonnêteté d'un distributeur ?
La carotte et le bâton
C'est un vaste débat !
MV : D'où la nécessité pour l'Agence de mettre en place de nouveaux mécanismes de contrôle et d'améliorer ceux déjà existants. Bref, il faut qu'elle apprenne à manier avec dextérité la carotte et le bâton. Et pour employer à bon escient les deux, il lui faut des indicateurs pour pouvoir vérifier la chaîne à tous les niveaux et disposer, également, d'un réel pouvoir de répression. Un système de veille lui serait utile. L écoute du consommateur de base doit également faire partie de ses investigations. Mais tout ceci ne vaut qu'à court terme, parce que personne ne peut prévoir quelle incidence aura dans vingt ans une décision prise aujourd'hui. L'amiante en est un bel exemple: il y a vingt ans, un directeur qui l'aurait refusée pour ignifuger son magasin se serait vu traiter de criminel...
GM : Court et long terme, voilà qui fait songer à la problématique des O.G.M. La grande distribution les a refusés en bloc. Comment assurer les consommateurs qu'ils ne sont pas cachés quelque part dans les gondoles?
M.V : Pour la détection des O.G.M., il n'existe que peu de laboratoires en Belgique. Conclusion logique: personne ne peut dire avec certitude s'il y a des O.G.M. dans la distribution belge et ça, le consommateur doit le savoir. II faut également l'informer des risques encourus et à l'heure actuelle, il faut l'avouer, personne n'en sait rien. Le risque est potentiel. Bien évidemment, cette incertitude perturbe et angoisse le consommateur, d'autant plus qu'il ne possède pas les clés pour décrypter les débats complexes qui traitent du sujet. L'ennui, c'est que le consommateur n'a guère le choix s'il veut éviter les transgéniques. Le plus paradoxal, c'est qu'on emploie des O.G.M. dans les médicaments et ceux-là ne soulèvent aucune critique.
Mais que fait la distribution ?
G.M..: Hormis les O.G.M., la grande distribution en fait-elle suffisamment pour garantir la sécurité alimentaire ?
M.V : Non. Notre préoccupation principale demeure la rupture de la chaîne du froid. Les comptoirs réfrigérés s'alignent le plus souvent en fond de magasin, les clients s'arrêtent encore à de nombreux rayons avant de rejoindre les caisses. On peut mettre en cause la responsabilité du consommateur qui agit mécaniquement, sans réfléchir. Mais éduquer le consommateur fait partie des devoirs de la distribution, comme celui de l'aider à maintenir les produits frais dans de bonnes conditions; je pense par exemple à la remise gratuite de sacs isothermes.
La formation du personnel doit également être revue. Trop souvent les marchandises traînent dans les allées avant d'être mises en rayon. Ensuite, une fois installées, nombre d'entre elles dépassent la barrière du froid.
Derrière, dans les stocks, là où arrivent les fournisseurs, les produits ne restent pas spécialement à bonne température, notamment en été; car rien n'est prévu entre le déchargement et le stockage. Sauf chez Colruyt, où des armoires frigo assurent le maintien de la chaîne du froid pendant le déchargement.
Un personnel mal formé peut mener au désastre. Le site de Ready.be n'a pas résisté à l'incompétence des emballeurs qui mettaient la salade en dessous des boîtes de conserve, par exemple.
J'évoquerai également les dates de péremption, régulièrement dépassées, malgré les publicités des enseignes à ce sujet. Sans oublier les notices explicatives qui souvent rédigées dans un jargon incompréhensible du public.
Mais tout n'est pas noir ! Comme dans chaque milieu, la grande distribution compte dans ses rangs des gens sérieux qui font de réels efforts pour assurer une logistique impeccable.
Et le goût ?
G.M. : La sécurité alimentaire ne va-t-elle pas être assurée au détriment de la qualité gustative des produits ?
M.V : La sécurité alimentaire implique une bonne hygiène, mais cela n'a pas vraiment de rapport avec le goût des aliments. Un produit aseptisé n'est pas nécessairement savoureux. Mais est-e vraiment important, dans une société où les gens ne sont plus capables de monter une sauce, où faire la cuisine équivaut à une punition, où même manger ressemble à une corvée ? Et puis, les industriels ont déjà trouvé la parade: les plats préparés, les sauces... tout existe en kit, il n'y plus qu'a réchauffer ou mélanger. Avec tout de même, de temps à autre, un fabricant qui réagit à l'inverse des autres en proposant un aliment plus goûteux. Je pense aux pâtes Filadelfia, par exemple.
G.M.: La concentration de la distribution n'a-t-elle pas une influence négative sur le choix proposé aux consommateurs ?
M.V. : Sans doute. Le plus gênant, c'est la stratégie du moindre prix qui en découle. Les producteurs qui ne présentent pas une taille critique ne peuvent plus être référencés par les grandes centrales d'achat. Cela marginalise tout une série d'artisans et de petites entreprises, dont une bonne partie est finalement éliminée du marché, ce qui diminue le choix des consommateurs.
D'autre part, ceux qui sont référencés par les centrales se retrouvent souvent pieds et poings liés, parce que les volumes demandés sont tels qu'ils ne peuvent fournir qu'une seule centrale. Ils en deviennent dangereusement dépendants. Dans bien des cas, les produits de masse qui viennent de ces gros fournisseurs se révèlent par trop aseptisés. La grande distribution dispose le plus souvent d'une grande variété de produits, mais d'une seule référence, ce qui entraîne la standardisation du goût, ou du «pas de goût». En définitive, tout se ressemble, jusqu'aux emballages. D'ores et déjà , notre paysage organoleptique est en voie d'appauvrissement.
Pour quelqu'un qui adore, comme moi, préparer des chicons au gratin, se procurer de bons ingrédients devient problématique en grande distribution. Des chicons sans goût et du jambon industriel ne riment pas avec plaisir de la table. La consommation se fait de plus en plus à deux vitesses, celle des petits budgets qui doit se contenter du générique et celle qui peut se permettre les aliments de qualité.
G.M.: N y a-t-il pas une volonté politique pour rétablir et encourager-la production de produits plus savoureux ?
M.V. : Le plaisir de la table (ou autre) n'est pas vraiment «socialement correct», aujourd'hui. C'est assez cyclique, de temps à autre, il est de bon ton de considérer que manger ou rire est futile et improductif, cela revient de façon récurrente.
Pour demain, je vois deux possibilités. La première est un gros défi, celui qui consisterait à positionner notre style «bon vivant» comme un art de vivre exportable. Un défi passionnant qui se traduirait pour nos producteurs et nos distributeurs par «comment vendre à l'étranger notre façon d'apprécier les bonnes choses». J'évoque ici nos produits traditionnels, les vrais, ceux qui ont une histoire et une qualité intrinsèque. Voilà pour le meilleur des cas.
La deuxième et triste possibilité, c'est l'accentuation de ce que nous connaissons déjà aujourd'hui, à savoir la prolifération de produits aseptisés à nom de marque.
Une société où il me faudra débourser beaucoup d'argent pour élaborer mes chicons au gratin, si je sais où tout trouver.
Consommateur vulnérable
G.M. : Et le CRIOC dans tout ça ? Quels sont ses objectifs ?
M.V : Le CRIOC est un centre de recherche et d'information, pas un comité de défense du consommateur, comme l'est par exemple Test Achat.
Notre regard se porte sur le concept de vulnérabilité du consommateur. Concept qui tient compte de qui n'a pas eu la formation au choix, au goût. Qui, à la maison comme à l'école, n'a reçu aucune éducation, aucune émulation de ses sens gustatifs. Parce qu'il vit dans un milieu défavorisé ou dans une famille qui se désintéresse de la nourriture. Cette personne-là subit, sans s'en rendre compte, l'évolution perverse des produits proposés. E adoucissement progressif de la bière, illustre bien ce mécanisme. Qui aime encore l'acidité d'une vraie gueuze ou l'amertume d'une brune ?
Nous voulons aussi attirer l'attention sur les personnes qui ne disposent que de faibles moyens financiers. L alimentation ne doit pas être réservée à une élite, comme l'est actuellement le bio, par exemple.
Les handicapés physiques nous tiennent également à cÅ“ur. Rien n'est fait pour leur faciliter la vie, pas d'affichage en braille pour les aveugles, peu d'accès pour les handicapés moteurs...
Le CRIOC s'intéresse aussi aux personnes âgées qui ne peuvent plus choisir les produits qu'elles consomment parce qu'elles se retrouvent en marge de la société, isolées chez elles ou subissant la nourriture industrielle des institutions.
Enfin, nous mettons un accent tout particulier sur les jeunes consommateurs. Nous avons là une mission des plus importantes, leur éducation au goût dans tous les endroits de consommation. Comme au réfectoire de l'école qui, souvent, propose des repas médiocres parce que l'institution ou les parents manquent de moyens financiers.
Le CRIOC est un outil au service, non seulement des consommateurs, mais de toute la filière. Nous sommes ouverts à toutes les discussions. Pourquoi ne pas débattre avec les producteurs et les distributeurs des problèmes d'emballage et de sur-emballage, à court et à long terme, par exemple ? Les thèmes de discussion sont nombreux, nous pouvons apporter un autre point de vue que celui de la seule logique commerciale...